Le voyageur métabolique – à 4920 mètres dans la Cordillère du Lipez

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Coucher de soleil salar Uyuni

27 Oct Le voyageur métabolique – à 4920 mètres dans la Cordillère du Lipez

La Bolivie est une expérience délicate à partager tant les émotions qu’elle suscite lors de sa traversée sont confuses, décapées de toutes fioritures, de l’aventure à l’état pur. La seule certitude à avoir sur ce territoire sud-américain est qu’il ne peut laisser indifférent le voyageur qui ose défier sa topographie. A vélo, la Bolivie prend une ampleur d’une autre envergure, le défi de sa traversée, une autre tournure. Depuis le départ colombien, ses terres arides, ses déserts de sel, sa haute altitude constante de plus de 3000 mètres, sa province hostile du Sud Lipez, m’ont fascinés et poussés à progresser rapidement vers le Nord du Lac Titicaca et sa frontière incompréhensible avec le Pérou qui coupe un lac en 2 parties.

Pêcheur sur le Lac Titicaca

Pêcheur sur le Lac Titicaca

Dès le passage de la frontière Pérou-Bolivie, l’entrée en matière à vélo est délicate. Le lac Titicaca que beaucoup imaginent plat, paisible et agréable à arpenter à vélo est tout sauf une promenade de santé si vous tentez l’aventure bolivienne en contournant le lac par le Nord, le Sud étant l’autoroute touristique entre le Pérou et la Bolivie. L’asphalte, l’ami de nos bicyclettes ayant trop roulées sur les pistes défoncées péruviennes, disparaît aussi rapidement qu’un timide coucher de soleil, dès le poste frontière franchi. La piste qui s’ouvre à nous est une composition artistique entre la boue, la terre séchée, les pierres et le sable. Construite et entretenue pour le passage de camions de toutes tailles et 4×4 aux moteurs surpuissants, la topographie est capricieuse, cassante, impitoyable. Le baromètre altimétrique de nos vélos affiche des pourcentages à 2 chiffres et le cardiofréquencemètre, un rythme cardiaque proche de la vitesse de pointe de la majorité des véhicules de tourisme.

Ornière de sable bolivienne

Ornière de sable bolivienne

Pourtant, le paysage est là, comme figé. Nos corps déclenchent une furie intérieure afin de franchir les difficultés quotidiennes pour rejoindre le Sud de la Bolivie. La Terre, elle, reste paisible, sûre d’elle, telle une montagne contemplant depuis sa cime, des fourmis insignifiantes déterminées à se lancer dans une ascension démente. Nos yeux sont éclatés par les rayons du soleil, à la puissance décuplée en altitude, et nous prive du plaisir d’admirer à l’œil nu, les déserts boliviens qu’il cuit à feu ardent depuis des milliers d’années. Lunettes de soleil vissées sur le nez obligatoires…Le froid sec, effleuré au Pérou sur quelques cols à plus de 4500 mètres, nous emmaillote aux premières secondes de contact avec nos habits les plus chauds. Il se transforme en assassin silencieux en quelques minutes en pénétrant chaque millimètre carré laissé sans protection de nos épidermes fragiles d’européens, il fait parfois -15 .

Paysage aride bolivien en direction du Sud Lipez

Paysage aride bolivien en direction du Sud Lipez

La progression au Sud du pays nous fait abandonner pour quelques centaines de kilomètres l’une des nombreuses cordillères andines afin de rejoindre les déserts de sel, trésor touristique du XXIème siècle, où les pirates en tout genre depuis leur caravelle équipée de rameurs à multiples cylindres, viennent attraper un cliché photo pour se figer dans l’infini désert riche du lithium alimentant leur téléphone, et repartir aussi rapidement qu’ils sont venus. Le désert de sel, lui, reste fier, immuable, comme un trésor inviolable et vous renvoie le reflet de votre égo de voyageur depuis ses milliers de cristaux salins que composent son sol. Telle une antichambre de paix et de beauté lisse qui décapent l’esprit du voyageur, les déserts de Coipasa et Uyuni sont un refuge glacial et forment une frontière nette entre le Nord ouest bolivien, la province du Sud Lipez, ses terres minérales aux 1000 couleurs et ses cimes impénétrables.

Salar d'Uyuni, plus grande étendue de sel au monde

Salar d’Uyuni, plus grande étendue de sel au monde

Notre adieu avec la panaméricaine numéro 1, l’une des rares routes boliviennes asphaltées, est d’autant plus déchirant lorsque nous découvrons l’état des pistes de la chaîne de montagnes de Khenwal, avant de rallier la réserve nationale andine Eduardo Avaroa. Le sable enveloppe à présent nos larges pneus allemands dégueulant de tous bords. Nos roues se dérobent de part et d’autres des ornières de sable vicieuses qui jonchent les pistes en bastions invisibles. Le caoutchouc de nos pneus est mis à rude épreuve par les harcèlements du sable, son adhérence pédante sur route est humiliée sur les pistes boliviennes. Les chutes sont inévitables, notre fierté de cycliste, effacée, à chaque rafale de vent projetant nos embarcations dans les ornières maudites. Les chauffeurs des vacanciers en 4×4, propulsés par des V8 atmosphériques à la sonorité funeste, favorisent la formation de ces mines anti-cyclistes en creusant les chemins de leurs centaines de passages annuels. Le vent sud ouest nous envoie ses armées de tornades, formées à l’horizon, aux trajectoires imprévisibles et nous fouette le visage avec ses violents crachats de sable. Malgré les éléments déchaînés contre nos cadres et notre mental de fer, la progression est inéluctable, gravée par le dessin de nos pneus dans le sable mais aussitôt effacée par le vent. Les cols s’enchaînent à 4000, 4500, 4700, 4920 mètres dans un tableau désertique où nous rêvons éveillés devant ses superbes formations géologiques et ses couleurs rouge, beige, jaune, marron indescriptibles. Le plaisir des sens se mérite. Il est à la hauteur du challenge physique requis, insoutenable pour beaucoup, pour oser vagabonder à vélo dans ces contrées hostiles.

Tornade bolivienne en approche...

Tornade bolivienne en approche…

Les touristes, depuis leur habitacle chauffé et protégés de tous les dangers du Sud Lipez, souvent ralentissent, parfois s’arrêtent pour observer de plus prêt l’animal humain, harnaché sur cette moto sans moteur à explosion, se battant contre les éléments pour progresser dans pareil territoire déchiré. Les félicitations pleuvent à chaque arrêt mais nous n’entendons que le chant du vent fouettant nos tympans et observons repartir ces caravelles thermiques voguant au loin sur l’écume du sable de la Cordillère du Lipez. La frontière Bolivie/Chili est le point d’orgue de notre épopée vélocipédique avec 12 kilomètres finaux depuis les lacs immaculés Verde et Blanca. Nous rejoignons le misérable poste frontière, planté là, comme une verrue au milieu du visage, aux portes du somptueux volcan Licancábur. Le volcan jette ses neiges éternelles en larmes fondues sur nos visages crispés par l’effort, comme pour nous dire adieu, alors qu’il observe nos galères métalliques s’éloigner au large vers le désert d’Atacama Chilien.

BikeTrippers au Sud Lipez

BikeTrippers au Sud Lipez

7 Commentaires
  • Paps
    Posté à 09:58h, 28 octobre

    Magnifique page d’écriture oxygénée !
    Mes yeux s’embuent en découvrant cette comète étincelante aux beautés multiples
    Le noir de nos écrans rêve de saisir de telles fulgurances !
    Merci pour toutes vos traces scintillantes qui nous interdisent de demeurer aveugles aux splendeurs de notre planète
    Je crois que nous pédalons, grâce à vous, dans nos têtes, pour tourner le dos aux vies dévalées quatre à quatre, ou voulant rouler en 4×4…

  • valou
    Posté à 18:49h, 28 octobre

    Bravo!
    J’ai mal pour vous quand je lis ça! (notemment ton analyse sur notre épiderme, l’ayant pratiqué légèrement au pérou je peu comprendre…)

    Au moins vous n’avez pas volé vos photos!!
    biz

  • Perotta
    Posté à 07:04h, 29 octobre

    Quelle belle écriture, c’est si bien raconté que l’on comprend l’extrême difficulté de ce voyage, mes yeux s’humidifient en pensant à vous et s’ouvrent en grand pour admirer tant de beauté pure puis mon cœur bat la chamade tant je suis fière de vous. Toutes mes félicitations et encouragements. Tendres pensées .

  • Axel
    Posté à 02:34h, 02 novembre

    Merci V !

  • joseph
    Posté à 10:28h, 07 novembre

    Bonjour
    Merci pour ces superbes reportages qui nous font rêver et qui nous montrent une autre façon de voir le monde.
    Votre immersion et votre adaptation a des environnements difficiles que vous nous avez fait vivre nous démontre l’actualité du mot de Mark Twain un aventurier du siècle dernier « ils ne savaient pas que c’était impossible alors ils l’ont fait »
    Bon courage pour la suite
    Bisoux et à bientôt
    Jose

  • Gwen
    Posté à 22:11h, 08 novembre

    Bravo mon frère chéri pour ce beau récit… On pourrait faire un commentaire littéraire sur ton texte hihi ;-). Vous pouvez être fiers de vous. Je vous aime courage!

  • Axel
    Posté à 16:14h, 12 novembre

    Merci pour ton excellent mot parrain…
    Au plaisir de te revoir à notre retour pour partager ce voyage incroyable ;-)